Outil pédagogique : Mieux connaître son sol grâce à la moutarde !

26/02/2023 | Jardinage au naturel Matière organique Sol
Ver
Dans la newsletter du mois de décembre nous avions fait un zoom sur « l’opération plante ton slip" qui a permis de prendre conscience de l’activité biologique sur différents types de sols. On continue l’exploration de la vie du sol avec Franck Jacopin par le biais des lombrics ou devrait-on dire les lombriciens. Ils représentent à eux seuls 20 % de la biomasse du sol. Cependant cette vie est en danger. Si on considère qu’un hectare de pâturage normand peut représenter 3 à 4 tonnes de lombrics, ce chiffre tombe à quelques kilos pour une terre travaillée à longueur d’année que ce soit en agriculture intensive, maraîchage bio ou conventionnel (source : des vers et des lombrics) ...

Quel est le constat dans nos pratiques sur la préservation du sol ?

Si avant la seconde guerre mondiale les charrues existaient déjà, leur travail restait de surface, cependant la modernisation de ces engins ont amené les pratiques à son paroxysme avec des labours de plus en plus profond et la formation de semelles de labour destructrices compactant le sol et rendant le sol saturé. L’utilisation des pesticides alourdit le constat.

Si le soc de la charrue permet de labourer la terre, elle le fait en bloc et sur des surfaces parfois très profondes (environ 3 000 tonnes de terre sur un hectare). Les vers vont, quant à eux, labourer moins mais ils vont enrichir, aérer le sol ne touchant ni à sa structure ni à la structure souterraine des plantes ni aux interactions qui existent entre les bactéries et les microbes. Les vers vont réussir à faire un labour sur des profondeurs inégalables sans accident. Ils vont fertiliser la terre, améliorer l’irrigation, vont entretenir les racines des plantes, aider les autres organismes à circuler.

Le ver est un des acteurs essentiels à la bonne santé et à la vitalité du sol qu’il soit viticole, agricole, maraîcher ou bien encore un simple parterre de coin de rue. Dans les zones tempérées, les vers de terre déposent en moyenne 300 tonnes de fèces par hectare (soit 30 kg/m2, formant une couche de 5 à 6 cm d'épaisseur).

Mais arrêtons nous là ! Notre but n’étant pas de vous abreuver de chiffres nous préférons les « conditionner » dans une fiche mémo qui sera aussi l’occasion de découvrir un glossaire riche sur la fonction des vers de terre et de leur capacité à provoquer des échanges dans le sol ! Vous retrouverez cette fiche dans la prochaine lettre d'info.

Une prise de conscience par l’observation

Si la sonnette d’alarme est aujourd’hui déclenchée, le chemin reste long pour amener tout le monde à changer ses pratiques. Cependant des tests existent pour développer les moyens d’alerte.

Le principal outil qui existe est l’observatoire participatif des vers de terre (OPVT). C'est un outil d’évaluation simplifié de la biodiversité. Son objectif principal est d’acquérir, à partir d’une méthode de prélèvement simplifiée, des données nationales concernant le nombre de vers par m².

Tout le monde peut participer car l’OPVT est ouvert à toutes et tous : il suffit d’être assez rigoureux·ses (respecter le protocole et les consignes) pour présenter des résultats utilisables par les scientifiques. Chacun·e, à terme, pourra comparer ses propres observations aux références nationales obtenues dans des contextes similaires.

La détermination réalisée à l’aide d’une clef de détermination corrobore les observations à l’œil nu qui sont assez faciles. Vous pouvez trouvez ICI le test complet.

Évaluer la qualité du sol par les vers

Franck Jacopin, administrateur du RCCNA, s’est proposé de faire le test de la moutarde qui est régulièrement utilisé par l’OPVT. Nous pouvons y ajouter le test de la bêche qui peut compléter le comptage. Franck Jacopin travaille en tant qu’animateur jardinier sur les jardins solidaires de Niort. Il est aussi maître composteur.

Pourquoi ce test ?

Nous cultivons sur le jardin solidaire quelques 1000 m² de potager sans intrant chimique sur une terre très argileuse. La place du motoculteur est de moins en moins importante. Cependant une bonne partie de notre grande parcelle a été encore « retournée » .
Depuis la fin de l’été 2021, trois carrés ont été identifiés. Leur histoire est simple, depuis dix ans ils sont motocultés tous les ans et plus ou moins fertilisés en compost ou en fumier. Les plantes qui poussent spontanément sont bien sûr très vite caractérisées : renoncules et potentilles sont deux plantes qui aiment les terrains tassés et compactés par l’utilisation du motoculteur en particulier. Leurs racines sont disséminées d’autant par l’utilisation du motoculteur.

En plus de cela au printemps 2021, nous avons passé un vibroculteur sur la parcelle qu’on appellera parcelle A. A partir de la fin de l’été 2021, la récolte de pommes de terre a été faite et le carré d’environ 100 m² a été aéré avec une grelinette, et bâché pendant l’hiver 2021. Au fur et à mesure il a été amendé en compost et au foin mais depuis, il n’y a pas eu une seule culture. Le travail essentiel a été de le laisser se reposer ! Cependant un printemps et un été caniculaire a retardé la mise en culture en 2022.

A deux pas, il y a la parcelle B encore motoculté au printemps 2022, tout comme sa jumelle elle est très argileuse. Si la terre peut paraître très meuble sur les 20 premiers cm elle est compactée au-delà à cause de la semelle créée par le motoculteur. Du compost avait été incorporé en surface, la terre argileuse est très jaune et très saturé en eau. Avec le printemps et l’été 2022, les cultures mises en place ont eu un rendement assez faible (poireaux, blettes). Depuis le sol n’a pas été ni touché ni utilisé. Il a été recouvert d’une bâche noire qui était encore en place pour le test et le sol est resté humide malgré le peu de pluie du 15 janvier au 15 février 2023.

A quelques encablures, la parcelle C, avec une culture d’oignons pendant l’année 2021 et non travaillée par la suite a été paillée avec de la tonte de gazon pendant l’hiver 2021/2022. La culture principale en été 2022 fut des tomates. Les arrosages ont été réguliers et la parcelle est restée humide grâce au paillage qui a été mis en plus au cours de l’été. En novembre 2022 un épandage de fumier conséquent a été effectué (3kg par m²).

En quoi consiste les tests ?

Ces tests ont été réalisés pour voir l’évolution qu’il peut y avoir entre le travail intensif (le travail du motoculteur), un travail avec la grelinette également appelée biobêche qui est un outil de jardinage utilisant le principe du levier et enfin avec le non travail d’un sol.

Nous avons utilisé le test de la moutarde (protocole simplifié de l’OPVT). C’est une activité très simple (vous retrouvez les consignes en fin d’article) assez ludique que nous avons réalisé avec un groupe de jeunes. Le principe ? La molécule isothiocyanate d'allyle présente dans la moutarde fait remonter les vers ! Et après il n’y a plus qu’à les compter !

Et les résultats pour la parcelle A ? 

Le test sur la parcelle A semble très préoccupant. Le nombre d’individus est très faible (20 grammes d’anéciques au m², 200 kg ramené à l’hectare). Alors qu’elle semblait pouvoir redonner des signes de satisfaction, c’est tout le contraire. Plusieurs suppositions sont envisageables mais en particulier les conditions pluviométriques de cet été ont entraîné un appauvrissement de celle-ci et au travail du vibroculteur qui n’était pas l’outil adapté et qui a accentué le compactage du sol. De plus le sol est très minéralisé en profondeur. Il y a aussi à rajouter la pluviométrie qui est nulle depuis un mois ! Et sans que le sol soit complètement sec il est tout de même important de se poser cette question sur la conséquence sur ce carré en particulier.

Et la parcelle B ?

Pour parcelle B. Résultat de la collecte : 30 anéciques, pas plus de cinq endogés et un épigé qui se cachait sous la bâche ! Cependant ramené en poids on peut estimer un poids de 60 à 80 grammes au m², ramené à l’hectare 600 kg à 800 kg, ce qui est un peu plus qu’un sol labouré dans les plaines juste présentes à quelques kilomètres ! Rappelons que sur une prairie ou sur un sol cultivé en semis direct c’est 5 fois plus !
Au delà du test de la moutarde nous avons bêché assez profondément (50 à 70 cm). Le test de la bêche est complémentaire au test de la moutarde. Nous avons pu constater que le résultat n’a peu ou prou changé.

Et la parcelle C ?

C’est la parcelle C qui réconforte ! La préparation qui a été effectuée sans trop de travail permet de prendre conscience de la vitalité du sol quand il est laissé tranquille. Presque 100 grammes de lombriciens (voir leur présentation fiche jointe) au m² (une tonne à l’hectare) ! Mais cependant le fait de la présence du fumier montre une grosse concentration de vers épigées (vers rouge du fumier) (40%) et de vers endogés (30%), cependant les anéciques sont aussi présents (30%) qui rassurent quant au peu du travail du sol mais ne peut pas masquer le « travail » qui reste à faire : faire de la culture sur couvert le plus possible !

Conclusion des tests :

Nous savions qu’en faisant les tests sur les différentes parcelles qu’il y aurait une cohérence avec nos différentes pratiques. Cependant il a été utile de réaliser ces expériences pour se rendre compte du  travail que nous devions réaliser pour améliorer l’état de cette parcelle. Il est aussi utile de pouvoir de communiquer auprès de toutes et tous sur l’utilité du non travail du sol.
Le test de la moutarde est révélateur de l’état de santé d’un sol et nous permet de prendre conscience de sa qualité. Dans un premier temps nous allons tout simplement abandonner le motoculteur ! Un programme pour l’ensemble de la parcelle est à envisager :

   mise en repos progressive des différentes parcelles
   mettre en place des longues rotations
   utilisation plus régulière des engrais verts (féverole seigle, avoine)
   tester de la matière brut en amendement : le bois raméal fragmenté/BRF
   protéger les sol en repos le plus possible l’été par des paillages épais (paille, tontes de gazon, feuilles mortes, toiles en chanvre ou en lin).

Enfin pour rajouter une note plus positive nous avons constaté que le sol reste vivant par la présence des vers enchytréides qui ne représentent pas un poids important mais qui jouent un rôle majeur dans les milieux où les lombriciens sont rares ou absents. Nous avons aussi constaté la présence de nombreuses petites bêtes (mille-pattes, insectes, araignées).

On le redécouvre presque : les lombrics sont les garants du travail du sol ! Il est considéré souvent comme l’ingénieur qui assure l’aération et l’irrigation du sous-terrain.

Alors il est temps de mettre cela en place à grande échelle soit par la permaculture, soit en passant par les principes de l’agroécologie. Le travail sur sol vivant réalisé par Benoît sur la ferme de Cagnolles en Dordogne est très probant : https://fermedecagnolle.fr/

Et pour continuer à apprendre, à découvrir le sol n’hésitez à consulter les ouvrages de Claude et Lydie Bourguignon, Blaise Leclerc… Vous pouvez retrouver une bibliographie du sol sur l’article : « plante ton slip ».

Et enfin je vous invite à découvrir Marc-André Sélosse, biologiste, chercheur, spécialiste en différents domaines lié au sol, il sera présent à Niort le 10 novembre 2023 pour une conférence dédiée au sol. Je vous le conseille !

Protocole du test de la moutarde :
   utilisé un seul type de moutarde en l’occurrence de la moutarde Amora fine & forte. Nos chers camarades n’aiment pas l’isothiocyanate d'allyle ou aussi appelé huile de moutarde. Il faut 2 pots de 300g pour 2 passages.
   plutôt opté pour une rampe qu’une pomme (sinon une pomme très fine, fera l’affaire)
   un arrosoir de 10 litres
   prévoir éventuellement une fourche bêche pour prélever le maximum de vers (test de la bêche en complément).
   les conditions météos sont importantes : une T° au dessus de 6° et optimale à 10° et la période fin d’hiver / début printemps / début automne ou l’activité est la plus importante.
   deux arrosages (avec 10 litres d’eau) consécutifs à 1/4 d’heure d’intervalles sur une surface de 1 m² et avec un ramassage précautionneux soit à la main soit avec une pince.


Article rédigé par Franck Jacopin